LE directeur du cirque regarda le commissaire Bouclard avec une admiration un peu inquiète.
– Commissaire, ne me dites pas que vous avez déjà trouvé le coupable, sans même avoir interrogé personne ?
Bouclard eut l’air presque gêné de répondre affirmativement. En effet, il pensait avoir trouvé, avouant que cette enquête était particulièrement aisée. Il expliqua :
– Pendant le numéro de Chuck, le fildefériste, le grand Cuchillo est en vie. Et, pendant les otaries, il est tué. Quels sont les coupables possibles, si l’on veut croire au crime personnel comme vous nous y avez incité, monsieur Alberti ?
Letroc se gratta à nouveau la tête :
– Heu... Dans cette affaire sont impliqués Rosita, Chuck et Myriam... À en croire M. Alberti.
Le directeur du cirque confirma les rapports orageux des deux couples. Il était probable qu’une autre scène d’explications entre Cuchillo et un membre du trio ait dégénéré.
– Rosita ? interrogea le commissaire. On l’a vue sortir de chez Cuchillo, mais elle est restée ensuite avec M. Alberti, en coulisse de la piste... Myriam ? Selon les principes du cirque, elle devait être présente en coulisse, à attendre pour son numéro, depuis le début du fildefériste. Elle était donc, elle aussi, aux côtés de M. Alberti.
– En effet, admit le directeur.
– Reste Chuck, mais il était en piste, fit remarquer Letroc.
– Le temps de son numéro... mais il n’était plus là pendant les otaries.
Letroc exulta :
– Mais oui, bien sûr... Et il est allemand ?
– Je n’en sais rien.
– Mais alors, pourquoi ?
– Pour te remettre sur la bonne voie. Ce n’était qu’un exemple.
– Exemple de quoi ?
– Exemple d’erreur à ne pas commettre. Ainsi, si tu trouves du rouge à lèvres sur un mégot, c’est aller trop vite que d’y voir le signe indiscutable d’une présence féminine. Objectivement, il y a seulement du rouge sur un mégot. Il vaut mieux s’en tenir là... surtout dans un cirque !
– Ça y est, j’y suis... Le clown !
– Eh oui ! On nous a dit que Chuck faisait son numéro en clown. Et c’est vraisemblablement lui qui a laissé du rouge sur les mégots, de même qu’il a ramené des copeaux de la piste sur le tapis de la roulotte, autre indice intéressant, apporté là, grâce à la colophane dont les funambules enduisent leurs chaussons. Rosita et Myriam, qui n’étaient pas encore allées en piste ne pouvaient pas ramener de copeaux.
– Vous avez raison patron, c’est parfaitement simple ! Chuck a dû « bouillir » tout le temps de son numéro. En sortant de piste, il a allumé rageusement une Gauloise, peut-être offerte par Myriam, et s’est précipité chez Cuchillo pour une explication. Il a laissé des copeaux sur le tapis et un mégot dans le cendrier. Le grand Cuchillo lui a offert une Gitane filtre, et c’est dans l’instant d’après que Chuck a tué le lanceur de poignards. Il s’est enfui aussitôt, jetant au passage la cigarette retrouvée devant la roulotte. Il est allé se changer et M. Alberti et Rosita sont arrivés à ce moment-là.
– Voilà une hypothèse cohérente, félicita le commissaire. Allons donc la proposer aux intéressés...
Il attrapa M. Loyal par le bras, en lui demandant de bien vouloir lui montrer le chemin de la roulotte du fildefériste.
Dans une cage plus proche, un fauve gronda sourdement.
Alain Demouzon, avril 1981.
© Fayard, 2002.
Bonus: voir sur le site Calaméo, le travail d’une classe de 5e > Crime Circus.