PRINTEMPS
Mercredi 12 mars 1997
En raison de la brume et du soleil d’un si beau matin… Rosée dans le sous-bois. La verdure qui s’installe subrepticement. Violettes. Sept écureuils, à divers moments et, au retour, sept étudiants en beaux-arts peignant sur la pelouse au bas du temple de l’île de Reuilly. Chacun travaille selon un axe différent, sur un chevalet valise. J’ai vu aussi les chiens éternels — envoyés plus volontiers patauger dans les ruisseaux —, des cyclistes, des cavaliers (dont deux Gardes républicains), des joggeurs, des gymnastes (taka de karaté, taïchi, parcoureurs sportifs…), un dessinateur, deux photographes aux tempes grises, des pique-niqueurs, des bronzeurs en maillot de bain sur les pelouses du lac Daumesnil, une barque… et la buvette confiserie, non loin de l’entrée du zoo, à la porte Dorée. Sur le franchissement du périphérique, comme toujours, la crasse automobile, lave grondante avançant lentement, très lentement, compacte, serpentine, parsemée de brefs rougeoiements… La foire du Trône s’installe. La grande roue est déjà montée. (La dernière fois, j‘avais constaté le départ des cirques). Premier arbre qui me salue de ses feuilles neuves, languettes à peine sorties : une aubépine. Plus loin, les saules, au bord du lac, d’un vert jaune. Deux bernaches du Canada. Les colverts. Cinq cygnes dont un noir. Un goéland argenté, deux juvéniles. Beauté apaisante du contre-jour dans le cœur du bois. Grimpereaux qui semblent se poursuivre, jouer (à trois) en criant. Début des pariades ? Un accenteur bien observé, perché, au chant. Une grive draine qui se faufile. Troglodytes se mussant sous les ronces, comme des campagnols ailés. Fauvette au chant dur, saccadé, comme une succession de cris. Fauvette grisette ?… Est-ce possible en cette saison ? […] Trop de lumière, de distance : au retour, je ne sais plus ce que j’ai vu. Même un gobemouche gris (à cause des impalpables mouchetures de sa poitrine) me paraît soudain impossible. Et ce moineau très clair, roussâtre, couleur de pain frais ?… Je croyais revenir avec des nouveautés et je reste avec des illusions, des perplexités.
ÉTÉ
Mardi 23 juin 1998
Profiter d’une des plus longues fins de journée de l’année. Je pars à 18 h 45, emportant quelques sandwiches, de l’eau, une pomme. Il a fait beau, même si le ciel se couvre de nuages brumeux — mais ils partiront, j’aurai de belles plages de soleil. La nuit n’arrivera qu’à 22 h 30. Alors, ce sera brutalement dans le bois le grand silence des oiseaux, les arbres noirs, la solitude. Jusque-là, beaucoup de monde. Mais, quand tout se calme, alors que j’avance vers le sud plus délaissé, je rencontre enfin la chouette hulotte que j’espérais. […] Un bosquet de feuillus plutôt sombre, et les appels, « tsssrrrk », des petits. C’est au bord du parcours sportif, là où est planté un slalom de pieux. J’aperçois comme une grosse bûche sur le flanc d’un jeune hêtre. Jumelles. C’est la hulotte, plutôt grise, qui me regarde. Je vais m’approcher doucement, cherchant une meilleure lumière. […] Soudain, tout disparaît. Tout à mon réglage, je n’ai rien vu, rien entendu. Un effacement… Vers la « fac » [emplacement de l’ancienne faculté de Vincennes], foisonnement de papilionacéees : galéga officinal, gesce, vesce, lotier, sainfoin, luzerne minette, ou lupuline, et bien d’autres merveilles. Mais… si je veux tout noter… Riche savane pleine de parfums d’été. […] Coucher de soleil africain et, dans la nuit du retour, la “jungle en folie” du zoo : cris et rugissements. Château illuminé. Pique-niqueurs. Lumière gris-bleu et rousse sous les conifères. Tout n’est pas noté. Faudrait-il tout noter ? Comment tout noter ?… Une chauve-souris.
AUTOMNE
Mercredi 9 octobre 2002
Dans mon carnet de terrain, je note : « Quelle belle lumière d’automne, nette, fraîche, mais d’une tiédeur dorée dés qu’on passe dans le soleil ». Ce carnet-là, pour une fois, dit un peu mieux les choses, au-delà de l’inventaire où apparaît la nouveauté… pour moi — qui ai déjà dû voir, mais sans le noter, le Sympetrum sanguin, ou peut-être « strié », frêle libellule au corps de brique sombre. Il y a si longtemps que je n’ai pas marché que chaque pas est un délice, chaque enjambée un voyage dans le bonheur. C’est le tout début de l’automne colorié. Les branches gardent leurs feuilles d’un vert jauni qui parfois s’illumine et flambe, avec de la pourpre, de l’écarlate, des rousseurs orangées. Le bel automne, qui conserve le parfum de l’été.
HIVER
Mardi 26 janvier 1999
Une balade aux oiseaux qui commence dans la nuit. Le jour arrive d’un coup mais le ciel reste gris. Les allées sont détrempées, boueuses, encore plus que la fois précédente. Avant 9 heures, peu d’oiseaux ; à 10 heures, ça bat son plein tout en restant assez calme néanmoins. Quatre écureuils, des grimpereaux, une épeichette, nombreuses charbonnières ; et les grives, draines et musiciennes, j’en ai vu plus d’une, ce jour-là ! Et les roitelets triplebandeau, bien observés en dehors des conifères, sur des tiges buissonnantes. Deux petites conversations avec des promeneurs. Pour la première fois, deux attelages de chevaux de trait, avec remorque portant des stères de bois frais coupé. La route de la Tourelle est en travaux […] Un Noir découpe la route avec une disqueuse sur roulettes. On ne garde que la partie centrale, les bas-côtés sont déblayés, amendés de terre fraîche et plantés. Des bordures de ciment marquent les rives de la future piste cyclable. Ça peut devenir sympa. Cette large route autrefois livrée aux bagnoles sera un lieu d’agréable promenade. Comme il y a un an, pic vert au sol, corneille poursuivant une crécerelle, pic épeichette — et vingt-sept espèces rencontrées. Il faut bien que les années se suivent et se ressemblent, que les saisons aient leur permanence.